Depuis des années, Patrice Couzigou* n’en finit pas de faire la promotion d’une nouvelle forme de pratique de la médecine, de celles qui mettent la relation soignant-soigné au centre des prescriptions médicales visant à faciliter les changements de comportements chez les patients.
Son statut de Professeur émérite de médecine à l’Université de Bordeaux l’amène notamment à coordonner le module « Médecine des comportements » désormais intégré aux enseignements proposés aux étudiants en médecine.
En 2021, il publie un article dans Le Quotidien du Médecin faisant un état des lieux de la place des « pratiques soignantes complémentaires » dans l’enseignement médical, après avoir signé en 2019, dans le journal Le Monde, une Tribune intitulée « L’avenir est à la médecine des comportements et à la relation soignante ».
En mars 2022, Patrice couzigou accepte de nous livrer lors d’un entretien les éléments ayant fondé sa démarche et l’ayant amené à publier récemment son ouvrage intitulé « Ecologie interne et relation soignante – Médecine de la personne et de ses comportements«
Greg Décamps : Les recommandations relatives à l’accompagnement des comportements de santé des patients présentées dans l’ouvrage peuvent renvoyer à un certain « bon sens ». J’imagine pourtant que cela n’a pas toujours été une conception dominante en matière de pratique de la médecine. De quelle façon a été perçue et reçue votre démarche lorsque vous avez commencé à la mettre en application ou à en faire la promotion ?
Patrice Couzigou : Beaucoup des recommandations de la « Médecine des comportements » relèvent effectivement d’un « certain bon sens ». Plus ou moins consciemment elles sont connues, mais bien peu mises en œuvre ! Le nombre de malades avec des facteurs de risque comportementaux majeurs se compte par dizaine de millions en France. Les soignants le savent sans être vraiment convaincus que leur maitrise est au moins aussi importante que les prises médicamenteuses. Ils considèrent, me semble-t-il, la médecine des comportements comme non de leur ressort, ou vouée à l’échec, ou bien illusoire à une époque où la technique est reine malgré les dénégations de salon « quand tout va bien «. La capacité de la personne humaine à changer est mise en doute. Par contre, dans mon expérience de soignant, les soignés sont demandeurs, reconnaissants et sensibles à cette approche qui implique une vraie relation.
GD : D’où vous vient cette envie de vous centrer sur le bien-être des patients au-delà de la prise en charge de leur maladie ? Certains patients vous ont-ils aidé à prendre conscience du rôle crucial de leurs comportements (que ces comportements soient sains ou à risques) ?
PC : L’écologie interne de la personne me vient de très loin, d’une culture familiale dès mon enfance. Plus tard dans mon exercice professionnel, les constats fréquents de maladies qui auraient pu (du !) être évitée m’ont régulièrement questionné. J’ai progressivement muri, vivant mal des décès évitables et des insuffisances soignantes n’ayant pas permis à la personne de maitriser à temps des facteurs de risque comportementaux…ou au moins d’essayer ! Dire ne suffit pas ! Le médecin lors de la consultation a la responsabilité de saisir ou non le moment opportun (le Kairos !) si la personne malade est prête. Les malades le disent souvent longtemps après « vous m’avez dit ou conseillé ceci …et … »
GD : Y a-t-il toujours à l’heure actuelle selon vous des réticences chez les professionnels de santé quant au fait de suivre les recommandations ou orientations préconisées dans l’ouvrage ? Au-delà de la formation des soignants, que peut-on faire pour faciliter l’évolution des pratiques de soin dans le sens que vous pouvez préconiser ?
PC : Les professionnels restent réticents et/ou sceptiques. La prévention négligée est décrite dans les médias mais se réduit le plus souvent au dépistage (demandé toujours plus précoce) et aux vaccinations : soit des actions extérieures ! mais bien peu d’écologie interne, de changements de comportements. Les exemples du dépistage du cancer du sein, et/ou du cancer colorectal sont caricaturaux, les facteurs de risque n’étant pratiquement pas abordés ! Quant à la Prescription Verte (basée sur l’entretien motivationnel), elle reste considérée comme utopiste alors qu’elle permettrait la revalorisation y compris matérielle du médecin généraliste
GD : Dans une perspective plus globale en matière de politiques de santé, quelles sont les orientations qui mériteraient, selon vous, d’être considérées dans les années à venir ? On parle par exemple du remboursement des séances d’activité physique, y a-t-il d’autres exemples dans ce domaine sur lesquels vous souhaiteriez attirer l’attention des décideurs politiques ?
PC : Les décideurs et les médias devraient prendre davantage conscience qu’au XXIème la personne malade est longtemps debout et non plus couchée(en fin d’évolution) : le soignant n’est plus seulement le médecin mais aussi le professionnel infirmier, le pharmacien, le psychologue, l’enseignant en activité physique adaptée, le kinésithérapeute etc…Quand elles mobilisent la personne ,la faisant bouger, les pratiques soignantes complémentaires sont utiles ,sans attendre une hypothétique démonstration d’efficacité scientifique, demandée au contraire à celles qui sont « extérieures » à la personne. La formation des soignants doit intégrer cette approche. Une forte revalorisation de la relation soignante (y compris matérielle) est indispensable, en la rééquilibrant par rapport à la nécessaire technique à mieux maitriser
Cette approche est à positionner dans le cadre du trépied de la médecine basée sur les preuves : les données scientifiques collectives (évolutives !) MAIS aussi, ce qui est presque constamment omis(!), l’expérience du soignant et le caractère unique de la personne soignée. En gardant à l’esprit que « la porte du changement s’ouvre de l’intérieur » !!